Il faut bien le reconnaître, le voyage en voilier fait rêver. Ce mode de vie procure un sentiment de liberté avec des escales dans des criques désertes et des couchers de soleil hors du commun. D’ailleurs, de plus en plus de familles et couples se lancent dans l’aventure, histoire de sortir de la routine quotidienne pour une ou plusieurs années. Mais si cette part de rêve existe bel et bien, il serait hasardeux de penser qu’il en est toujours ainsi. En effet, il existe une partie immergée de l’iceberg dont on ne vous parle pas avant de partir en voyage en voilier. Pour le coup, elle est quelque peu éloignée de la carte postale, peut devenir parfois éprouvante et conduire même les plus téméraires à l’abandon d’un projet pourtant construit de longue date.
Eviter l’abandon dès les premières semaines
Le premier réflexe de tout équipage candidat au long voyage est avant tout de se préparer « techniquement » . Choix et préparation du bateau, équipements, sécurité, confort, budget, assurance, cours de voile, de mécanique etc., sont logiquement les premières choses qui viennent à l’esprit et auxquelles chacun porte une importance majeure. Malgré la meilleure préparation possible et parfois des années de sacrifices pour pouvoir partir, il n’est pourtant pas rare de voir des familles ou des couples abandonner dès les premiers mois de l’aventure.
Au cours de notre voyage, nous avons vu plusieurs bateaux qui dès l’étape Gibraltar ou Canaries, sont restés à quai… Et il y a une bonne raison à cela! Se lancer dans ce style de vie est difficile, c’est même un parcours semé d’embûches. Cela va bien au-delà de la navigation en elle-même, surtout lorsque chaque journée réserve son lot de surprises et de défis. On peut comprendre la déception ou la frustration qui envahit les personnes qui ont dû abandonner trop tôt, peut-être en s'apercevant que ce mode de vie n'était pas fait pour elles... Mais comment auraient-elles pu se préparer autrement, auraient-elles pu éviter un arrêt si brutal ?
En plus de la préparation « technique », il est à mon avis tout aussi essentiel de préparer son voyage en voilier mentalement, en équipage, pour mieux affronter les défis qui nous attendent, et n'occulter aucun sujet tabou.
Voici donc 5 choses dont on ne vous parle pas ou peu avant de partir en voyage en voilier mais qui sont importantes à garder à l'esprit pour mieux aborder les prochains défis que ce mode de vie vous réserve.
1- Vous devrez savoir tout faire sur le bateau et vous serez mis à l’épreuve presque tous les jours.
Au large c’est une évidence, s’il arrive un problème, on ne peut compter que sur soi-même. Nul besoin d’être spécialiste de tout, mais il est important de bien connaître son bateau et de faire preuve de curiosité pour au fur et à mesure, comprendre le fonctionnement des appareils et circuits que vous avez à bord. Un jour vous devez être mécanicien, le lendemain électricien, le sur-lendemain agent d’entretien et ainsi de suite… Si cela peut paraître amusant au départ, vous pourriez vite vous lasser en comprenant que la moindre petite réparation pour laquelle vous pensiez passer 30min, se transforme en chantier d’une demi-journée à cause de 2 foutues vis que vous n’arrivez pas à défaire depuis 2h… Sans aucun doute, vous vous énerverez contre l’ingénieur qui a eu la bonne idée d’installer un relais électrique dans un recoin inaccessible et où vous ne pouvez glisser que 3 doigts pour pouvoir refaire vos connexions. Le tout bien sûr en jouant au contorsionniste préparant son numéro de cirque, sinon ce serait encore trop facile!…
En fait, la liste des bonnes raisons pour s’énerver peut être longue si vous n’entretenez pas votre zénitude. Et que dire quand Murphy s’en mêle avec sa fameuse loi?… Car oui, c’est un peu comme les trains, un problème peut en cacher un autre. Et c’est malheureusement quand on en a le moins envie que ça arrive…
En bref, vous devrez démontrer des qualités de résilience, de patience et de bon sens. Souvent rien n’est trop compliqué, mais l’accumulation de petits soucis peut facilement conduire à l’épuisement. Et soyez rassuré, que votre bateau soit neuf ou d’occasion, personne n’est épargné. Heureusement, le milieu nautique fait encore preuve de solidarité et vous trouverez toujours un autre plaisancier pour venir vous aider ou tout simplement vous soutenir dans vos épreuves. La clé de la réussite question maintenance et entretien de votre bateau? En faire un peu tous les jours ou tout du moins de façon régulière, et ne pas attendre que votre liste de choses à faire s’allonge car sinon, vous serez vite débordé..
2- Les navigations peuvent être une source d’angoisse et pas toujours une partie de plaisir
La plaisance se démocratisant et l'électrochoc du COVID aidant, de plus en plus de personnes aspirent à profiter de la vie et à plus de liberté en partant en voyage en voilier. Souvent elles ont peu d’expérience de la navigation. D’un côté, il est plaisant de voir que l’évasion en bateau devient plus accessible que par le passé avec le développement de la technologie et de l’électronique. Toutefois, il ne faut pas oublier que la mer est un environnement hostile que l’on ne contrôle pas. Et s’il y a une chose qui ne s’improvise pas, c’est le sens marin. Mais qu’est ce que ça peut bien être?… Avec l’expérience, on développe des aptitudes à observer, à anticiper et à faire les bons choix avant qu’il ne soit trop tard. Cela ne nous met pas à l’abri du mauvais temps ou de mauvaises surprises, mais ça peut permettre d’éviter des situations qui empirent et finissent par devenir dangeureuses pour le bateau et l’équipage.
Tous les marins aguerris ont fait face au mauvais temps, qu’il soit annoncé ou pas. S’ils savent le gérer la plupart du temps, qu’en est-il pour des personnes novices qui se retrouvent en pleine nuit pris dans 40 noeuds et des vagues de 3 à 4 mètres?… Il y a forcément de quoi générer de l’angoisse et de la peur qui peut facilement dégouter même les plus motivés! Et même si sur le moment le coup est encaissé, il n’est pas rare d’avoir des personnes qui réagissent à posteriori, un peu comme les soldats qui reviennent de combat et qui développent des syndromes post-traumatiques, laissant des traces difficiles à effacer.
Pour éviter d’en arriver là, chacun doit être en mesure de progresser à son rythme. Inutile de se lancer dans de longues traversées quand on en a jamais fait. Il est préférable d’y aller progressivement. Ne vous lancez pas dans une navigation de nuit d’un trait, mais peut-être commencez par naviguer sur une courte distance en début de soirée, ou partir un matin avant le lever du soleil. Cela vous mettra en confiance et vous permettra de prendre vos repères petit à petit.
Et que dire du mal de mer qui peut guetter n’importe qui n’importe quand?… Là aussi, c’est un facteur qui peut facilement gâcher le voyage en voilier par l’inconfort que cela crée.
Enfin, je terminerai par le fait que les perceptions entre les hommes et les femmes ou encore entre un novice et un confirmé sont très différentes. Les notions d’appréciation du risque, de plaisir en navigation peuvent être à l’opposé, d’autant plus lorsque des enfants sont à bord. Car l’inconfort de l’un peut devenir une source de stress pour les autres. La communication est donc essentielle pour que les choix soient faits ensemble et que tout le monde puisse se sentir le plus à l’aise possible.
Ah et j’allais oublier! Non, la Méditerranée n’est pas synonyme de tranquilité. Bien au contraire, c’est une mer capricieuse qui n’épargne personne, y compris en plein été... Veillez donc à bien choisir votre bassin de navigation lorsque vous débutez, même si parfois, nous n'avons pas toujours le choix...
3- La vie au mouillage n’est pas toujours un long fleuve tranquille
Ah la belle vie! Cocktail sur le pont au coucher du soleil, baignades dans des eaux cristallines avec l’eau à 28°. C’est ça le voyage en voilier! Effectivement il y a de ça, et ce sont des moments que l’on apprécie à leur juste valeur et qui nous font bien sentir que nous sommes privilégiés. Et franchement, quoi de mieux que de pouvoir se retrouver avec les bateaux copains pour un apéro improvisé, voir les enfants sauter dans l’annexe pour rendre visite aux copains et copines et prendre leur autonomie. Pour tout cela, la vie au mouillage est très agréable.
Mais il peut y avoir une contrepartie non négligeable, celle de toujours être en alerte sur ce qui se passe autour de soi. Car tous les mouillages ne sont pas toujours bien protégés et il n’est pas rare de se retrouver surpris par du vent qui fait tourner le bateau dangereusement, ou encore une houle subite qui se met à vous faire danser de façon très inconfortable. L’application Navily est une bon outil pour pouvoir apprécier la protection des mouillages et les types de fonds. Ainsi on peut apprendre à anticiper les choses.
Parfois, ce sont les autres bateaux autour qui peuvent représenter un danger selon la façon avec laquelle ils ont ancré. Il faut donc garder un oeil attentif sur ce qui se passe. En croyant bien faire vous avez installé un orin au-dessus de votre ancre? Pas de chance, un bateau l’a pris pour une bouée d’amarrage et est venu s’attacher dessus… Et vous voilà en train de déraper car votre ancre n’est plus accrochée… Ce sont autant de situations qui peuvent se produire et qui ne sont pas si rares que ça.
Et lorsque la nuit tombe et que le vent monte subitement, vous serez bon pour veiller dans le cockpit ou tout du moins, rester en alerte, à l'écoute de votre bateau.
Vous l’aurez compris, au mouillage, il ne s’agit pas que de planter l’ancre et de profiter de votre coin de paradis. Et si vous devez quitter le bateau pour une ballade à terre, une bonne pratique consiste à laisser son numéro de téléphone bien visible pour que l’on puisse vous prévénir si jamais il se passait quelque chose pendant votre absence.
4- La promiscuité, le stress et l’inconfort peuvent venir à bout de l’harmonie au sein de votre équipage
En bateau, les hauts sont très hauts et les bas peuvent être aussi très bas… Les émotions sont décuplées et peuvent mettre parfois nos nerfs à l’épreuve. Or chaque membre de l’équipage doit pouvoir trouver son compte dans le voyage, les envies de chacun doivent pouvoir être respectées. Car la promiscuité permanente n’est pas toujours facile à vivre, même quand on s’aime énormément!
Pour surmonter ce défi, certains équipages mettent en place des « conseils de bateau ». Une fois par semaine, l’équipage se retrouve pour parler sans filtre de ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, de ce qui a déplu ou qui a été apprécié pendant la semaine. Que l’on soit en famille ou avec des équipiers de passage, cette solution peut être intéressante à condition que le maître mot soit le respect lors de chaque échange.
Les sorties à terre sont essentielles. Elles offrent un espace de décompression, permettent à chacun de s’isoler. Si vous êtes en famille, n’hésitez pas à vous accordez du temps en couple, seulement à deux. Ça parait facile et évident, mais lorsque l’on vit sur l’eau, la logistique est tout de suite un peu plus complexe qu’à terre. Si on veut employer un terme à la mode, ce serait celui d’agilité.
Et bien souvent, au même titre que l’on a besoin de vacances lorsque l’on vit à terre pour faire une coupure et décompresser, il est important de déconnecter de la vie en bateau au moins une fois par an. Car comme on dit en sport, si on veut pouvoir durer, les temps de récupération sont aussi importants que les temps de travail. Et une coupure de quelques semaines à terre pour retrouver la famille ou les amis vous fera le plus grand bien. Vous apprécierez encore plus de revenir dans votre petit cocon pour repartir de plus belle à la découverte de nouvelles escales.
5- Le voilier est le moyen le plus cher de voyager gratuitement!
Si certains aspects de la vie en bateau présentent des avantages, celui du budget en revanche peut vite s’avérer être délicat. Tant que tout va bien, le voyage en voilier reste plutôt économique. En revanche, lorsqu’une avarie se produit, cela peut vite se chiffrer en milliers d’euros.
Même avec un bateau bien entretenu, personne n’est à l’abri de frais d’entretien et de réparation importants. D'après l'expérience de nombreux navigateurs, il faut compter environ 10 à 12% de la valeur du bateau en coûts d’entretien annuels. Et cela, en faisant un maximum de choses soit même afin d’économiser des frais de main d’oeuvre.
L’un des principaux conseils que l’on puisse donner est de ne pas voir trop grand à l’achat du bateau. Car plus un bateau est grand et complexe dans sa construction et ses équipements, plus il sera coûteux en entretien. Il est donc nécessaire de bien étudier son budget dans la phase de préparation de son voyage et de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. L’important est avant tout que votre bateau vous emmène là où vous le souhaitez et en sécurité!
Une magnifique expérience malgré tout!
Si ces 5 points de vigilance sont à garder à l’esprit, il n’en reste pas moins que le voyage en voilier offre des expériences inoubliables et hors du commun. La communion avec la nature, les rencontres au fil du voyage, l’avantage de pouvoir se déplacer avec sa maison, la déconnexion et le plaisir d’une vie plus minimaliste et plus authentique n’ont aucun égal.
Et une fois que vous aurez surmonté ces quelques défis, nul doute que vous trouverez l’équilibre qui vous convient pour pouvoir profiter pleinement de chaque instant.