Le 4 février 2022 et après avoir navigué vers le Cap-Vert depuis les Canaries, nous quittions Mindelo pour nous élancer pour la première fois dans la traversée de l’Atlantique pour un parcours de 2.400 milles nautiques (4.445 km) avant d’atteindre la Martinique en 15 jours 22heures. Cette expérience en famille restera sans aucun doute parmi nos plus beaux souvenirs familiaux.
Au moment d’appareiller, ce fût un mélange d’émotions pour tous, entre excitation, inquiétude et concentration. Car même si de nombreux bateaux font la traversée de l'Atlantique chaque année, se lancer dans ce type d’aventure n’est jamais anodin. On doit prendre soin de son bateau, de son équipage et s’assurer que tout le monde trouve sa place à bord, trouve son confort dans l’inconfort. Et puis on ne sait jamais comment chacun va réagir une fois au milieu de l’océan, face à cette immensité à laquelle on doit se plier si l’on veut arriver de l’autre côté. Deux semaines à terre, ce n’est pas grand chose. Mais deux semaines en mer, loin de tout, livré à soi-même, il faut bien reconnaître que ça n’a pas tout à fait la même saveur…
Au moment de larguer les amarres, il y a toujours le doute de l’inconnu propre à chaque marin. Même si le bateau a été bien préparé, personne n’est à l’abri de problèmes plus ou moins sérieux. En voyant s’éloigner les côtes cap-verdienne, on sait qu’une fois lancé, il devient quasi impossible de faire demi-tour. A cet instant, je n’ai pu m’empêcher de penser à ces grands marins explorateurs à la recherche de nouvelles terres sans savoir vraiment où ils allaient atterrir… Nous, nous pouvons encore compter sur nos instruments et la technologie moderne pour savoir où nous sommes et où l’on va. Mais il y a une chose qui demeure intemporelle, c’est cette envie d’aller explorer de nouveaux horizons, de repousser ses propres limites, de se redécouvrir soi-même loin de toute pollution médiatique et tentation de la vie contemporaine. Au final, c’est une sorte de pèlerinage, un voyage introspectif pour nous renforcer dans nos convictions les plus profondes.
Aller, on part traverser l'Atlantique! Voici les extraits de notre livre de bord captés au fil des jours.
Jour 1: Le départ
Ce n’est pas sans émotions que nous avons quitté la marina de Mindelo avec pas mal d’amis sur le ponton pour nous dire au revoir… Imaginez une seule seconde d’ouvrir les yeux le matin et de dire: chérie, aujourd’hui on part traverser l’Atlantique!.. c’est vrai que ça change du métro, boulot, dodo.
On part dans une mer formée et un vent entre 25 et 30 noeuds qui accélère entre les îles de São Vincente et Santo Antao. Le bateau file entre 7 et 8 noeuds avec un surf à 10 noeuds. Une fois le couloir de vent passé, nous mettons cap au sud-ouest pour descendre progressivement vers le 12ème parallèle. On doit se ré-amariner un peu, nos équipiers donnant un peu à manger aux poissons dans ces premières 12h de navigation…
Jour 2: Notre première dorade
Nous venons de boucler 160 milles sur les premières 24h, une belle moyenne. Cette nuit, nous avons croisé à quelques centaines de mètres un gros chalutier chinois qui ratissait les eaux internationales. Nous l’avons vu au dernier moment, il naviguait feux éteints (il les a allumés au dernier moment) et sans son AIS. C’est lors d’une manœuvre que Lynne l’a aperçu juste devant nous. Évidemment, il ne s’est pas manifesté à la VHF… et nous n’avons pas eu d’alarme radar. Bref, une manœuvre d’urgence dans 25 noeuds et une mer formée en évitant l’empannage.
Un peu plus tard, c’est un pétrolier gentleman que nous avons croisé et qui nous a prévenu qu’il allait se détourner de notre route. Plutôt sympa.
Ce matin nous avons pêché notre première dorade coryphene, que nous avons dégustée à midi. Un vrai régal! Nos équipiers Léa, Antonin et Corentin sont encore barbouillés dans une mer formée qui balance le bateau de gauche à droite, mais Lynne et moi assurons les quarts.
Nous avançons entre 6.5 et 7 noeuds en faisant cap au 260. Nous allons aller chercher une route plus sud pour éviter de tomber dans la pétole lundi et mardi. On a pas vraiment envie de s’engluer au milieu de l’océan…!
Notre position après 24h: 16°05’901N - 27°30’078W
Jour 3: On fuit la zone sans vent
Cap au sud / sud-ouest depuis hier en fin d’après-midi. On doit éviter de rentrer dans une zone de pétole qui se déplace entre les latitudes 17 degrés nord et 12 degrés nord. Le bateau continue de bien avancer avec une vitesse moyenne de 6.5 noeuds et nous avons de nouveau bouclé presque 160 milles en 24h.
On voit de plus en plus de sargasses qui pour le moment, ne nous ralentissent pas. Et chaque matin, le capitaine fait la récolte de poissons volants sur le pont. De bons appâts pour continuer à pêcher de belles dorades
Notre position après 24h: 14°12’824N - 28°32’720W
Jour 4: Et si on allait au Brésil?
On vient de boucler notre 3ème jour plein en mer. L’objectif de descendre en-dessous de 12° nord est atteint et dans les temps. Nous allons bientôt empanner pour faire un peu plus de cap à l’ouest tout en évitant le plus gros de la bulle sans vent. Sinon, c’est direction le Brésil! En fait nous sommes plus proche du Brésil que de la Martinique… A choisir, quel serait votre destination préférée?
A part ça hier, petit rappel à l’ordre de l’équipage sur la sécurité. Il est vrai que lorsque la mer s’aplatît, le bateau est vraiment sécurisant et on oublie parfois l’importance de garder son gilet en permanence lorsque l’on est dehors. Le capitaine reste intraitable sur la question.
Nous avons pêché notre deuxième dorade à l’heure du petit déjeuner ce matin. Une belle prise d’au moins 6 ou 7kg qui nous fait faire nos premières conserves. Et comme l’air du large fait parfois perdre la tête, on a utilisé un poisson-volant pour pêcher. On l’a surnommé Serge, comme Serge L’appât… sauf qu’il ne chantait plus. Quand à Océane, elle trouvait le riz trop piquant. Normal, sous les tropiques, c’est trop piquant…
Bon aller, il semble que certains manquent un peu de sommeil. Bon début de semaine à tous!
Notre position: 11°53’502N - 29°24’976W
Jour 5: Une nuit étoilée sous spi
Nous progressons à la limite de la zone sans vent. Pas peu fier de sa stratégie de route le capitaine! Voilà presque 24h que nous sommes sous spi au cap 260°. On ne fait donc plus de Sud avec un cap plus intéressant pour la Martinique. On peut donc oublier le Brésil pour l’heure. Dans la nuit étoilée, notre vitesse s’est stabilisée à 6,5 noeuds de moyenne avec du vent entre 8 et 12 noeuds. Et la bonne nouvelle est que nous devrions pouvoir rester sous spi au moins jusqu’à jeudi!
Côté ambiance à bord, tout va bien. Léa retrouve la forme après une bonne cure de sommeil, on navigue en mode tropiques et les sargasses ne nous agacent pas encore!
Notre position après 24h: 11°41’984N- 31°01’252W
Jour 6: Manœuvres physiques
Ce matin à 11:00 UTC, notre position est 11°37N - 32°51W. Nous avançons entre 5 et 6 noeuds, droit vers la Martinique. Nous avons parcouru 700 milles nautiques depuis le départ, ce qui reste très correct en 120 heures de mer. La navigation est toujours agréable sous spi, même si hier en fin d’après-midi, nous avons eu droit à 2h de travail physique gratuit.
Si vous ne savez pas ce qu’est un coquetier, faites quelques recherches et vous verrez. C’est probablement la pire des situations qui puisse arriver en naviguant sous spi…
Alors qu’après une pleine nuit de veille et une bonne 1/2 journée, je suis allé prendre une petite sieste dans la cabine. Jusqu’à ce que Lynne m’appelle pour me dire que quelque chose n’allait pas. En sortant, le spi de 150m2 était emmêlé en haut et en bas dans l’étai de génois, le tout bien serré par le va-et-vient de la chaussette. Équation quasiment insolvable. Mais finalement avec beaucoup d’efforts, de patience et de calme, nous avons résolu le problème juste avant la tombée de la nuit. Nous n’étions pas trop de 5 pour maîtriser la voile tellement puissante que même emmêlée, elle arrivait à nous soulever.
Malgré tout, tout le monde a le moral, aucun dégât à déplorer sur le bateau pour le moment et la nuit a été bonne. Bref, il fait bon au milieu de nulle part et l’actualité terrestre ne nous manque pas le moins du monde!
Notre position après 24h: 11°34’862N- 32°46’814W
Jour 7: Réveil sous la grisaille
Bonjour depuis le transatlantique Inuksuit!
Il est 11:00 en France au moment où nous écrivons ces lignes, et ici, ben euh… on ne sais plus trop en fait… sauf qu’à l’heure du petit déjeuner, nous avons eu droit aux pancakes d’Océane. On ne se refuse rien! On vit à l’heure du soleil, ou plutôt de la lumière, car depuis hier soir, le soleil a fait place à la grisaille avec quelques averses éparses pendant la nuit.
Nous avons navigué une nouvelle fois 24h sous spi pour pouvoir avancer dans un vent très léger de 8 à 12 noeuds. Nous avons bouclé 120NM ce qui reste convenable, même si nous aimerions faire un peu plus de vitesse. Mais ça va venir, car si vous êtes encore là en deuxième semaine, vous allez voir que ça va envoyer un peu plus lourd! Les estomacs auront intérêt à être bien accrochés!
Mais nous n’en sommes pas là. Apprécions le moment présent comme ces oiseaux de mer surgissant de nulle part qui sont venus chasser le poisson volant autour du bateau au lever du jour. Nous avons la ligne à l’eau tous les jours pour essayer de pêcher, mais les sargasses deviennent de plus en plus denses et ne nous facilitent pas la tâche. Ce qui renforce encore plus la frustration d’avoir échappé une nouvelle dorade encore plus grosse que les précédentes hier…
Voilà pour ces nouvelles de début de 7eme jour en mer, après un total de 820 milles nautiques parcourus depuis vendredi dernier. Il nous en reste encore 1525 d’ici la Martinique et en ligne droite. Et oui… c’est grand l’océan !…
L’équipage d’Inuksuit retourne désormais à ses occupations! Bonne journée à tous!
Notre position après 24h: 11°32’042N - 34°48’894W








Jour 8: On accélère!
Bon c’est pas tout, mais il est quand même temps d’accélérer en ligne directe vers Le Marin. Cette bulle de pétole nous a obligé à descendre très Sud, rallongeant notre route de 200 milles nautiques par rapport à la route directe, ce qui équivaut à presque 2 jours de navigation. Ce matin au réveil, on apprécie donc d’avoir parcouru de nouveau 155 milles en 24h. Le bateau est plus vivant mais la contrepartie de ça, c’est que la mer aussi. L’ensemble reste malgré tout confortable, on préserve le bateau au maximum et on essaie toujours de pêcher. Sur ce point, nous sommes moins chanceux que les journées précédentes… La grisaille et les sargasses n'y sont certainement pas très innocents…
Tout l’équipage va bien, la routine est bien installée, les grands et les petits visionnent des films et on écoute de la musique.
Ah oui, j’allais oublier! Hier au moment du repas de midi, nous avons aperçu plusieurs baleines à quelques centaines de mètres du bateau. Ça nous manquait, il est vrai que cette traversée de l'Atlantique est pour le moment moins riche en observation de mammifères marins que sur la traversée Canaries-Cap Vert. Mais les choses changeront peut-être à l’approche des Antilles.
Aller, je repars reprendre un peu d’air, il fait chaud à l’intérieur. La mi-parcours est attendue pour dimanche!
Notre position après 24h: 12°27’807N- 36°49’800W
Jour 9: Bienvenue dans un monde qui bouge…!
Bienvenue dans un monde où se tenir debout est impossible et où la « nautamine » te donne bonne mine!
C’est officiel, nous sommes bien en plein dans le front de nord-est que certains pourraient encore oser appeler « alizé ». Moi je l’appellerais plutôt « démontée »… 30 noeuds établis avec rafales à plus de 40 par moment, même si à l’heure où j’écris, le vent a baissé un peu et les rafales sont moins prononcées. Une chose est certaine, on bat des records de distance en 24h. Nous devrions avoir avalé à 11:00 UTC environ 180 milles nautiques.
Depuis hier 14:00, on marche à une moyenne de 8 noeuds. Même sous 2 ris et trinquette ça déménage. On ne s’est quand même rien refusé après avoir pêché vers 17:00 non pas une dorade mais un Amberjack que Lynne nous a mijoté au four avec un risotto. Autant dire que dans les conditions météo actuelles, cela tenait du numéro d’équilibriste!
Le temps de plier la vaisselle, de ne rien laisser traîner et le bateau prenait ses premières grosses claques sur la coque tribord, avant de se coucher sur bâbord bousculé par de belles vagues d’environ 3 à 4m. Après chaque embardée, le bateau se relève et le pilote reprend son cap au son de la trinquette qui vibre et fait trembler toute la structure.
Bientôt Amberjack retrouve le chemin de la mer, n’ayant pas apprécié l’estomac de quelques-uns de nos équipiers. J’interdis d’aller à l’extérieur, les quarts se font depuis l’intérieur du bateau. De toute façon dans le cockpit c’est douche gratuite et le premier qui mettrait le nez dehors prendrait le risque de se voir transformé en Monsieur Bibendum, le gilet risquant de se percuter sous la violence de certains embruns.
Voilà, voilà… vous l’aurez compris, ça brasse, ça tape, ça déménage, ça tremble, ça craque, mais rassurez-vous, le bateau va bien, l’équipage aussi. Les enfants dorment comme des loirs et je ne serais pas étonné qu’ils veuillent jouer aux cartes au réveil!
Et si vous en voulez encore, on devrait être dans cette météo encore jusqu’à mardi! Quand on aime on ne compte pas!
Allez, bon week-end
Notre position après 24h: 12°45’868N- 38°54’953W
Jour 10: Mi-parcours
Tout va toujours très bien à bord, que ce soit pour le bateau ou l’équipage. Bien qu’il soit difficile de tenir debout dans le bateau sans perdre l’équilibre, notre petite vie au milieu de l’océan reste agréable. Et en cette fin de 9eme journée pleine de navigation, nous venons de franchir la mi-parcours vers la Martinique. En tout cas, mi-parcours en ligne droite, parce que sur le fond, nous avons parcouru en réalité bien plus avec 1.335 milles. Notre incursion vers le sud nous a pas mal rallongé la route, mais c’était nécessaire. Nous allons donc fêter cette étape avec un peu d’eau pétillante et quelques gâteaux apéro histoire de ne pas trop déranger les estomacs des plus fragiles! Et puis de toute façon, l'alcool est interdit à bord en navigation.
Nous continuons à filer à une bonne vitesse en ligne droite sur le cap. Nous avons pour les deuxièmes 24h consécutives parcouru 180 milles. Nous avançons en moyenne à 7,5 noeuds et nous avons été flashés à 13,5 noeuds en long surf sur une vague! On fait régulièrement des pointes au-dessus de 10 noeuds dans cette houle qui reste difficile à décrire et avec 25 noeuds de vent moyen. Le vent devrait accélérer encore un peu en fin d’après-midi jusqu’à mardi matin. En continuant à ce rythme, les instruments prévoient une arrivée dans moins de 6 jours.
Il est difficile de parler de l’environnement dans lequel on se trouve. C’est à la fois impressionnant, fascinant, hypnotisant pour reprendre les termes de Léa. Voir à perte de vue d’immenses vagues aux crêtes blanches qui font monter le bateau à la hauteur d’un bâtiment de 2 étages toutes les 8 secondes, puis accélérer sur un toboggan liquide en évitant la sortie de route, c’est assez surréaliste. On retrouve ici des images que nous pouvons voir dans des documentaires sur la mer, énormes champs de bosses auxquels finalement on s’habitue.
On observe quelques oiseaux et leur agilité au-dessus des vagues pour aller attraper au vol des escadrons de poissons volants qui plongent dans les creux pour essayer de sauver leur peau.
Jour 11: on avance à l’aveugle
Malheureusement notre Iridium a grillé hier et depuis 24h, nous n’avons plus de communication avec la terre, nous ne sommes plus en mesure de mettre à jour notre position ni de prendre les mises à jour météo. Il va falloir faire avec, mais ce qui me dérange le plus, c’est l’inquiétude que cela va créer parmi les membres de la famille qui recevaient depuis le départ des mises à jour quotidiennes à heure fixe… bref, pas très marrant pour eux…
À part ça, nous avons de nouveau bien avancé cette nuit avec 180 milles parcourus pour la troisième journée consécutive. À cette vitesse, la Martinique se rapproche vite! Je veux absolument rester dans ce flux le plus longtemps possible tout en économisant le bateau. Pendant la nuit, sous 2 ris et trinquette, les instruments ont enregistré un surf à 14,5 noeuds. Record battu de nouveau!
Comme nous roulons beaucoup entre les vagues qui peuvent parfois atteindre 6m, je vais certainement renvoyer un peu de génois pour rester appuyés correctement entre les surfs.
Position au matin du 14 février à 11:00UTC: 13°45´ - 45°56W
Jour 12: La fameuse Loi de Murphy
Notre nuit a été courte, très courte même. À 4:00 UTC, nous avons un problème de voltage sur nos batteries (pourtant chargées à plus de 90%) qui font déconnecter tous les instruments de navigation, y compris le pilote qui nous lâche subitement dans 30 noeuds de vent, alors que nous naviguions avec 2 ris et trinquette. À peine le temps de sauter de mon lit en petite tenue, que nous avons déjà fait un tour complet en partant au lof, voiles gonflées à contre avec la grand voile bloquée par sa retenue de bôme. Les creux pouvant atteindre 6 mètres, dans ces conditions, mieux vaut ne pas empanner, ça pourrait être très violent en libérant la retenue. On allume le moteur pour revenir face au vent et virer. On peut reprendre notre cap, je reprends la barre dans des conditions bien musclées en attendant de comprendre ce qui se passe avec nos batteries.
Le seul moyen de leur envoyer de l’énergie pour faire remonter le voltage, c’est en faisant marcher le groupe électrogène. Mince, il ne démarre plus. Vite, on prend l’option du moteur. Après quelques secondes, il s’étouffe… pas d’autre choix que de continuer de barrer presque en aveugle dans la nuit, uniquement avec le compas de route. Lynne pas très rassurée me relaie à la barre et moi, je me plonge la tête dans le moteur. Le circuit de carburant doit avoir un sérieux problème. Comme un air de déjà vu… Après 2h30 de maintenance moteur, le circuit redémarre. Nous revoilà avec de l’énergie. Avec encore 800 milles à parcourir, il valait mieux relancer la machine… sinon nous aurions navigué à l’ancienne pendant un peu plus de 4 jours, mais sans possibilité de renvoyer du génois qui est électrique…
Au lever du soleil, le vent baisse en moyenne à 22-23 noeuds mais la mer reste toujours bien formée. Les panneaux solaires prennent le relais du groupe pour maintenir un voltage suffisant et nous poursuivons notre route au cap 280° vers la Martinique. Pour deux petites heures, il est maintenant temps d’aller se coucher…
Notre position le 15 février à 11:00 UTC: 14°40N - 49°51W
Jour 13: Encore 500 milles nautiques
Nous nous sommes largement habitués aux sons de l’océan. Ces énormes quantités d’eau qui viennent mousser contre la coque du bateau dans un grondement proportionnel à notre vitesse nous sont désormais familières. Nous sommes encore fascinés par la puissance dégagée par la nature, mais ce qui nous paraissait gigantesque il y a encore quelques jours et devenu presque commun. Je dis « presque » parce qu’il ne faut rien sous-estimer, l’océan demeurera toujours plus fort et ce n’est pas parce que nous approchons de l’arrivée que nous devons relâcher notre vigilance.
Ce matin au réveil, il nous restait 500 milles à parcourir, à la fois peu au regard du nombre de milles déjà parcourus et beaucoup pour le commun des mortels. Nous avons effectué les 3/4 du parcours en ligne directe. Cette nuit, nous nous sommes relayés à la barre pour soulager le pilote et notre parc de batteries. Tout le monde prend du plaisir à barrer et à sentir le bateau évoluer. Les manœuvres ne sont pas nombreuses, nous restons tribord amure et les seules choses à faire sont de prendre ou de relâcher un ris et réduire le génois ou envoyer la trinquette. Le reste consiste à veiller à l’état de la mer et au vent qui peut rapidement se renforcer, notamment sous les grains. Mais nous avons été épargnés de ce côté là jusqu’à présent. Aujourd’hui nous profitons vraiment de l’alizé avec un vent de 20 noeuds et des vagues de 1,5m à 2m. Ça nous change des creux de 4 à 6m que nous avons connus ces 4 derniers jours…
Suite à notre panne d’iridium, nous sommes également soulagés d’avoir pu prévenir la famille que tout allait bien à bord grâce à un cargo qui croisait à 13 milles de nous hier soir. Son capitaine a gentillement accepté d’envoyer un message en notre nom et de nous transmettre par la même occasion les derniers fichiers météo par VHF. Voilà un nouveau geste de solidarité entre marins.
Nous avançons à une moyenne de 7 noeuds ce qui devrait nous faire arriver samedi dans la matinée.
Notre position le 16 février à 11:00 UTC: 14°44N - 50°21W
Jour 14: Au calme ou presque…
Nous avons parcouru 155 milles depuis la veille. Ça paraît bien peu en comparaison à nos moyennes précédentes et pourtant, ce n’est pas si mal. On prend goût à aller vite et à voir les milles fondre au fil des jours. Ces dernières heures sont un peu moins euphorisantes que les précédentes de ce point de vue. Mais on en profite pour remettre la ligne à l’eau en espérant pêcher de nouveau une belle dorade. Océane réclame des sushis depuis plusieurs jours. On sait au moins comment nous pourrons la cuisiner!
La journée était certainement trop calme dans un flux d’alizé conforme à l’image que nous pouvions nous en faire: 20-25 noeuds de vent de nord-est avec des vagues d’environ 1,5m. Le seul souci à cette allure, c’est que le génois peut facilement déventer derrière la grand voile. Et parfois il n’en faut pas plus pour que sur un claquement, une déchirure apparaisse dans le tissu déjà fragilisé… Nous sommes bons pour l’affaler, poser du scotch spécial Dacron dessus et renvoyer le tout. Ça paraît simple comme ça, mais dans la réalité, avec 20 noeuds de vent et une petite houle, l’exercice devient beaucoup plus sportif avec 75m2 de toile. Nous ne sommes pas trop de 5 pour le renvoyer et moi, m’égosillant pour dicter les manœuvres depuis l’avant du bateau vers le cockpit… j’avoue que quelques noms d’oiseaux ont filé, mais bon, ce qui se passe sur le bateau reste sur le bateau!
Plus on se rapproche des Antilles et plus nous devons être attentifs aux grains. Toutes les nuits au radar, nous les voyons se former, se disperser, se reformer… Nous essayons d’anticiper au maximum les manœuvres pour ne pas être pris de court en cas d’accélération du vent. Mais jusqu’à présent, nous n’avons subi que quelques gouttes de pluie avec même une sorte d’arc-en-ciel qui s’est formé dans le halo de la lune.
Notre position à 11:00 UTC ce jeudi 17 février: 14°48N - 54°05W
Jour 15: Une journée à oublier
Il y a des jours où quand ça veut pas, ça veut pas… aujourd’hui en a pris vraiment la couleur et la forme, et ça a commencé tôt le matin avec notre génois… mal enroulé pendant la nuit, au moment de le dérouler alors qu’il faisait encore noir, les écoutes se sont emmêlées sur l’étai, le maintenant prisonnier. Et me voilà parti pour une manœuvre devant, vite assisté de Corentin, m’égosillant avec encore le peu de voix qu’il me reste de la veille pour dicter au barreur quoi faire. L’incident réparé, je m’aperçois que la réparation de fortune sur la déchirure n’a pas tenue avec le fasaillement prononcé de la voile. Il faudra donc recommencer… mais pas aujourd’hui, le vent et la houle étant trop forts. Nous avancerons donc uniquement sous grand voile bien débordée pour essayer de conserver de la vitesse.
J’avoue ne pas être de bonne humeur, d’une part parce que sur de l’inattention, on ne préserve pas le matériel, et parce que notre moyenne de vitesse va encore baisser. Malgré tout, il faut accepter les choses telles qu’elles sont. Les prochains jours annoncent du vent de 8 à 12 noeuds plein Est. Ça va pas arranger nos affaires pour accélérer… on pourrait décider de faire du spi mais la houle ne nous aiderait pas beaucoup à faire plus de cap. Du coup, on revoit notre planning d’arrivée. Je sens que les derniers milles vont être longs. Je vous l’ai dit, je suis d’humeur pessimiste aujourd’hui !
Pour poursuivre la journée, nous échappons 2 énormes dorades, une 3ème fait une belle touche mais file à l’anglaise, quant à la 4ème, on a pas vu ce que c’était mais ça tirait très fort! Et en prime, elle nous arrache le bas de ligne en acier avec l’appât. C’est quand même le 4ème appât qui disparaît depuis le début de la traversée… ça commence à faire beaucoup!
La nuit est plutôt rouleuse, pas très agréable avec quelques grains. Et pour boucler ces 24h, le pain préparé par Lynne n’a pas gonflé, et tout le café matinal prêt à être servi a volé dans le carré balancé par une énième vague. Bon, il est temps que la série s’arrête… on se consolera en constatant que finalement, nous avons parcouru quand même 150 milles sur ces 24h.
Jour 16: Dernière journée au large
Nous touchons presque au but!
La journée a été contrastée avec au lever du soleil, beaucoup de roulis, une houle de 2m et le vent en plein derrière nous. Après différentes options de voiles pas très fructueuses (génois seul, grand voile seule) et notre volonté de faire du cap sans perdre trop de vitesse pour ne pas trop nous écarter de la route, nous optons pour l’option de renvoyer le spi. Mais pour ça, il faut monter en haut du mât pour réinstaller la balancine de tangon qui donnait des signes de faiblesse. L’occasion rêvée pour Corentin et Antonin de relever un nouveau défi et de nous ramener quelques belles images d’altitude! Le temps de redescendre, le vent s’est stabilisé et nous pouvons finalement renvoyer génois et grand voile sur le cap à presque 8 noeuds de moyenne.
En fin de journée nous échappons de nouveau une grosse prise, décidément, nos sushis se font réellement désirer…
La nuit sera bien chargée en manœuvres. On prend 1 ris, on le renvoie. On prend 2 ris, on en renvoie 1. On renvoie toute la toile puis on réduit de nouveau… la faute à ces grains qui se forment en un éclair, font passer le vent de 15 à 30 noeuds en 2 min. On peut les voir se former et se déplacer au radar, avec des trajectoires vraiment aléatoires. S’il faut épargner le matériel, pour les personnes de quart, c’est assez usant… Mais cela n’empêche pas Lynne et Mathieu de nous préparer en plein milieu de la nuit 2 cakes pour le petit déjeuner. Il n’y a vraiment qu’en bateau que tu te lèves au milieu de la nuit pour cuisiner!!
Ce matin le vent a encore un peu baissé, toujours en plein dans notre dos. Nous avançons à 6 noeuds uniquement sous grand voile pour éviter au génois de fasailler et de nous écarter de la route. On continue à rouler mais cela devrait se stabiliser.
Il nous reste 115 milles à parcourir. Dans quelques heures nous verrons de nouveau la terre. Et j’avoue que j’appréhende un peu de revenir d’un seul coup à une réalité que nous avions mise de côté pendant 2 semaines…
Position à 11:00 UTC : 14°35N - 58°55W
Jour 17: Terre en vue, nous l’avons fait! On a traversé l'Atlantique!
Nous approchons des derniers 100 milles, alors que la vitesse du bateau ralentie. Nous naviguons presque plein vent arrière sous grand voile haute et bien débordée pour ne pas nous éloigner trop de la route directe. Le vent est faible, un peu comme si la nature voulait vraiment que l’on profite de nos dernières dizaines d’heures en mer. Chacun est partagé entre l’envie d’arriver et celle de rester encore un peu plus longtemps sur l’eau, loin de tout.
À l’intérieur, l’ambiance est aux jeux de société et aux jeux de cartes. Et la ligne de pêche est de nouveau à l’eau, nous tentons notre chance jusqu’au dernier moment pour essayer de déguster un bon poisson avant l’arrivée. Et nous sommes récompensés en fin d’après-midi! Nous attrapons un thon que nous dégustons le soir en sushis. Quel luxe! Et Océane est ravie.
Vers 1h du matin, nous apercevons les premières lueurs de la Martinique que nous approchons par le Sud pour aller nous installer dans la baie du Marin. À 4h nous touchons au but avec émotion, la satisfaction et la fierté d’avoir accompli quelque chose de pas si commun. Nous avons traversé l'Océan Atlantique! Nous savourons ce moment, tous sur le pont alors que nous tournons devant l’entrée de la baie en attendant que le jour se lève. Nous aurons mis 15 jours et 22h pour arriver, après avoir parcouru 2.390 milles nautiques. C’est assez incroyable et nous avons encore du mal à réaliser…
Et si tôt l’ancre bien accrochée dans le sable, tout l’équipage se jette à l’eau dans un paysage paradisiaque et où les contrastes de couleurs entre les plages, les cocotiers et l’eau turquoise sont saisissant. Nous y sommes, nous sommes aux Antilles!

