Réflexions sur la vie

Réflexions sur la vie

L’une des choses que nous apprécions le plus dans le voyage, ce sont les rencontres et les relations, même éphémères, que nous pouvons avoir avec des personnes bien souvent très différentes. Nous avons toujours eu la conviction que les différences constituent une richesse, qu’à partir du moment où l’on s’y intéresse, alors nous apprenons beaucoup. Ce sont ces rencontres qui nous offrent aussi de vraies réflexions sur la vie.

Apprécier la beauté de la nature

En jetant l’ancre dans la Baie d’Addaya il y a 2 semaines, nous ne pensions pas faire des rencontres aussi riches et aussi différentes les unes que les autres. Addaya est un petit fjord situé au nord de l’île de Minorque aux Baléares, au cœur d’un parc naturel protégé. Son entrée est complexe, avec des haut-fonds qui obligent à zigzaguer entre les cailloux qui effleurent la surface et des alignements à suivre. Nous sommes arrivés ici à la tombée de la nuit, après onze heures de navigation depuis Majorque, non sans stress et sans pouvoir réellement distinguer le paysage qui nous entourait. C’est dans ces moments-là que tous nos sens sont en éveil et que l’on se sent vraiment vivant, en composant avec les éléments. Ce n’est qu’au réveil que nous avons pu apprécier ce petit coin de paradis presque désert, où la beauté de la nature est un appel au ressourcement. C’est incroyable comme nous apprécions d’autant plus ces instants après des navigations qui ne sont jamais aussi calmes que ce que l’on pourrait espérer, avec la satisfaction du devoir accompli et d’avoir fait quelque chose d’un peu hors du commun. Arriver dans un nouvel endroit à la voile restera toujours quelque chose de fascinant et magique. Nous nous sentons bien souvent privilégiés.

Puerto Addaya, un petit port authentique

Nous sommes restés quatre nuits au mouillage. La météo prévoyant de forts vents du Nord-Ouest pour les jours suivants avec des rafales à plus de 50 noeuds, nous avons pris la décision de nous déplacer de quelques centaines de mètres pour aller nous amarrer sur un ponton. Un choix judicieux pour pouvoir dormir sur nos deux oreilles. Etant hors-saison, le port est très calme. Les emplacements pour les voiliers sont peu nombreux et il y a assez peu de hauteur d’eau. Cela nous a d’ailleurs valu d’être stoppés net dans la vase en manoeuvrant lentement pour nous rapprocher de notre emplacement. Une anecdote de plus qui a bien fait rire les enfants, spectateurs depuis le ponton… En tout et pour tout, je pense que notre arrivée a doublé la population du port, c’est pour dire le niveau d’agitation aux alentours! Mais nous ne nous en plaignons pas, au contraire. Nous aimons cette authenticité et cette simplicité qui nous projettent un peu hors du temps.

Merveilleux, des personnes qui parlent anglais!

Alors que l’obscurité commence à tomber et que je sécurise notre annexe le long du ponton, je vois surgir une silhouette sur le bateau à moteur d’à côté. La personne ne perd pas une seule seconde: 

  • « Do you speak English?!… »
  • « Yes I do! how are you? » 
  • « Oh fantastic!! I have no-one to speak English with here! I haven’t talk to anybody for a while! »

Et me voilà parti dans l’écoute de cet anglais arrivé en octobre après avoir acheté son bateau sur un malentendu, sans rien connaître au nautisme. Lui c’est Trevor, 55 ans, self-made-man, millionnaire, pilote d’avion, ancien champion de moto, sportif accompli, guitariste et ex-chippendale dans sa jeunesse. Je passerai plus d’une heure à l’écouter rattraper ses derniers mois de mutisme forcé. Lui qui se décrit comme un asocial vient d’un coup de se découvrir une passion pour le contact humain! À tel point qu’il nous propose de profiter de sa voiture de location pour aller faire des courses, aller boire un café, contempler des paysages dans le parc national… À chaque discussion, il nous raconte des anecdotes de sa vie qu’il a déjà bien croquée à pleines dents! Et il y a quelque chose d’inspirant chez lui. La façon dont il a tracé sa route complètement hors système après une enfance compliquée, sa capacité à rebondir, sa confiance en lui et sa détermination à s’en sortir. Nous nous retrouvons sur beaucoup de points, sur ce que le sport a pu nous apporter comme émotions, bénéfices, mais aussi sur la définition de la réussite et du bonheur. C’est plutôt sympa d’échanger avec cette personne sans filtre, souvent cash et entière. Effectivement, de belles réflexions sur la vie.

Addaya multilingues...

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Le lendemain soir en allant prendre notre douche une fois la nuit tombée, nous passons devant un monsieur qui descend de sa voiture, mouillé et tout habillé. Pourtant, il ne pleut pas. Nous le saluons en espagnol, pensant peut-être qu’il a eu un problème avec son bateau et qu’il a dû se mettre à l’eau. Il nous racontera par la suite qu’il est tombé dans le port de Mahon (à 17kms de là) en descendant du bateau d’un ami et après avoir bu quelques verres de vin de trop… En observant sa voiture, je m’aperçois qu’elle est immatriculée en France. Nous lui demandons:

  • « Vous êtes français »? 
  • « Oui je suis français, qu’est ce que ça fait plaisir d’entendre parler français! Moi c’est Thierry, salut! »

Décidemment, il y a du bon à parler plusieurs langues! Nous pouvons au moins nous satisfaire de permettre aux gens de parler. Et là encore, nous engageons la conversation pendant plusieurs minutes. Les enfants le taquinent, il fait de l’auto-dérision sur son embonpoint et le contact passe aussi très facilement. Nous sentons tout de suite qu’il y a du vécu chez lui. Son voilier d’à peine 30 pieds est au sec, en pleine rénovation avant de reprendre des navigations autour de Minorque dont il semble connaître les moindre recoins. Ça fait plus de vingt ans qu’il vient ici après avoir été pasteur. Autant dire qu’à 66 ans, il en a vu aussi! Et c’est dans la simplicité la plus totale qu’il continue de tracer son chemin. Comme la plupart des marins, il s’alarme de l’état de la planète, du monde dans lequel vont devoir vivre nos enfants. Il ne manque pas une occasion de sensibiliser Mathieu et Océane à l’environnement mais aussi leur parler des étoiles. Car Minorque est l’un des lieux où l’on peut le plus admirer le ciel avec une pollution lumineuse quasi nulle. Ce sont des moments où le temps s’arrête, où l’on se sent tout petit et qui nous ramène rapidement à l’essentiel: la chance d’être là où nous sommes, en bonne santé et de pouvoir réaliser notre rêve.

Thierry viendra nous rejoindre souvent pour partager un repas où un verre en faisant attention de ne pas se remettre à l’eau! Mais quelle personnalité attachante, simple, profondément altruiste et qui démontre une nouvelle fois que le bonheur ne se mesure pas à la taille du compte en banque, mais plutôt à la capacité de vivre pleinement au plus proche de son idéal. Là encore, un belle réflexion sur la vie et nos modes de vie…

Les enfants vivent leur vie

Nous rencontrons aussi Justine qui vit seule avec son garçon de 4 ans à bord de son voilier de 31 pieds. Nous sommes tous les deux originaires de  Dordogne, forcément ça facilite le contact… Un peu comme nous, c’est la météo qui l’a amenée à Addaya, elle qui passe plutôt du temps à Fornells, une autre baie à quelques kilomètres d’ici mais trop exposée aux vents du nord et nord-ouest. Les 3 enfants ont connectés immédiatement et passent leurs journées ensemble. Nous sommes admiratifs devant Justine, sa détermination et son dynamisme. Elle n’a pas dû avoir la vie facile jusque-là, mais elle est en permanence souriante et enthousiaste. Là encore, une vraie leçon de vie. Elle travaille dur sur son bateau « Aladdin » orné d’une belle peinture qui rappelle les contes de fées. Nous l'aidons pas mal dans ces travaux qui comme d'habitude sur un bateau, prennent toujours 4 fois plus de temps que ce que l'on pouvait prévoir. On lui souhaite que son conte se poursuive le plus longtemps possible. 

1989, chute du mur de Berlin...

Et comme nous avons dit que notre arrivée avait permis de doubler la population du port, il manque forcément quelqu’un à l’appel. Il s’agit d’un couple d’allemands qui navigue depuis 5 ans sur leur bateau Madrugada Lui mesure presque 2 mètres, autant dire que là aussi ça rapproche! Ils sont toujours souriants et ont partagé avec nous leur changement de vie, eux qui sont originaires d’Allemagne de l’Est proche de Leipzig, qui ont franchi le mur clandestinement quelques mois avant sa chute pour commencer à préparer l’ère post-RDA. Ils sont partis de rien et sont parvenus à force d’abnégation à construire leur histoire, en s’appuyant sur la solidarité familiale. Leurs premières navigations se sont faites avec le club de voile local du côté des Bahamas et ils ont investi dans leur bateau comme seule maison il y a quelques années. Depuis ils ont navigué jusqu’au cercle polaire, en mer d’Irlande, et se retrouvent maintenant en Méditerranée. Nous les retrouverons peut-être lors d’autres escales, mais nos échanges avec eux ont été vraiment chaleureux et remplis d’anecdotes de navigation.

Tout prend son sens...

Voilà l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons entrepris ce voyage. Les rencontres, le partage, la richesse des cultures. Pour nous c’est ça voyager autrement. Et voir les enfants être de plus en plus à l’aise dans ce nouvel environnement, les voir s’épanouir au contact des autres, s’émerveiller devant de beaux paysages, prendre de nouvelles responsabilités, nous confortent dans la décision que nous avons prise. Et nous sommes certains que nous aurons encore de nombreuses réflexions sur la vie à partager dans les semaines et les mois à venir.

Notre vie au mouillage

Notre vie au mouillage

Majorque, ses criques, son eau cristalline, ses sentiers de randonnées au cœur de la Serra Tramuntana classée au patrimoine de l'UNESCO, ses grottes karstiques souvent accessibles uniquement par bateau, il ne nous en fallait pas plus pour nous lancer à temps plein dans une vie au mouillage.

Un changement de rythme

J’avoue que nous perdons un peu la notion du temps depuis que nous sommes arrivés au nord de Majorque. Même si nos journées sont toujours marquées par le travail, les devoirs des enfants et des sorties quotidiennes, il est vraiment agréable de nous sentir moins pressés, à ne pas devoir courir partout. Nous vivons plus au rythme de la nature, du soleil, en respectant un peu plus nos rythmes biologiques, et nous lâchons prise progressivement avec les contraintes terrestres. Il faut dire que depuis que nous sommes arrivés aux Baléares, nous avons été choyés par la météo. Les températures sont clémentes de jour comme de nuit et nous n’avons pas eu à trop nous préoccuper des coups de vent et à nous inquiéter pour notre sécurité et celle du bateau.

Depuis 3 semaines, nous sommes en totale autonomie, ancrés dans la baie de Pollensa sur 4 à 5 mètres de fond. Chaque réveil est un émerveillement à la vue des falaises qui surplombent la baie, les contrastes de couleurs sur la mer, les quelques petites barques de pêcheurs qui glissent sans bruit en remontant leurs filets. Et le soir réserve aussi son lot de moments magiques, comme ce lever de pleine lune entre deux collines surplombant le château et le phare de la pointe de l’Avançada et éclairant une mer d’huile transparente, sans un souffle d’air au point de pouvoir suivre la chaîne au fond de l’eau et l’ancre bien enfoncée dans le sable. Si nous partions un peu dans l’inconnu avec cette vie au mouillage, nos trois premières semaines nous apportent un sentiment de plénitude.

Apprivoiser l'autonomie du bateau

Nos premières interrogations concernaient l’autonomie du bateau en eau et en énergie. Tout étant nouveau pour nous, nous faisons très attention à nos consommations quotidiennes pour ne pas nous retrouver pris de court. En quittant Alcudia, nous avions fait le plein de nos deux cuves d’eau de 350 litres chacune. Nous avons vidé la première en 10 jours, soit une consommation moyenne d’un peu moins de 9 litres par jour et par personne. N’allez pas croire que notre maison flottante commence à sentir le fauve avec si peu d’eau consommée, nous continuons à prendre soin de notre hygiène pour le bien-être de l’équipage! Nous adaptons simplement notre façon de faire la vaisselle par exemple, en lavant à l’eau de mer et en rinçant à l’eau douce. Côté douche, nous utilisons principalement la douchette de la plateforme arrière et nous ne laissons pas couler l’eau en permanence. Du coup, ces mesures sont assez efficaces. Et ces derniers jours, nous avons profité de quelques sorties en mer et dans des criques pour faire fonctionner le dessalinisateur et tester la qualité de l’eau produite. Test réussi puisque non seulement les cuves se remplissent vite, mais l’eau produite est en plus de très bonne qualité. Nous pouvons la boire sans risque de nous rendre malades, c’est plutôt rassurant. Enfin, jusque là...

Côté énergie, nous faisons attention à ce que nos batteries ne descendent pas en dessous de 70% de charge. Les panneaux solaires remplissent bien leur rôle la journée malgré la durée d’ensoleillement encore faible par rapport à la pleine saison. Nous allumons le groupe électrogène environ 1h30 par jour, souvent le soir histoire de recharger les batteries pour la nuit. Et nous laissons notre convertisseur fonctionner en permanence ce qui nous permet de produire du 220v pour charger les ordinateurs, utiliser le micro-ondes et le grille-pain. Au final, l’adaptation en matière d’énergie est assez facile, même si à l’avenir, nous trouverions plus raisonnable de réussir à optimiser encore un peu plus le 12v, y compris pour charger tous nos appareils électroniques. Si vous avez des conseils à ce sujet, nous sommes preneurs!

Rester connectés...

Finalement, la seule consommation qui explose en mettant de côté quelques bonnes bouteilles de vin dont Lynne raffole toujours, c’est celle de nos forfaits 4G. À bord, nous avons bien une antenne qui permet d’amplifier les réseaux wifi aux alentours. Mais avec la majorité des restaurants, bars et hôtels encore fermés, nous n’avons pas beaucoup d’option que d’être en quasi permanence en 4G avec nos téléphones. Du coup, nos 120G de forfait sont assez vite consommés. Nous allons devoir être un peu plus raisonnables dans notre utilisation. Le bon côté des choses, c’est que nous avons un argument tout trouvé pour limiter l’utilisation des tablettes des enfants!!

Se déplacer à terre

S’il y a une chose que nous apprécions sans modération depuis que nous sommes aux Baléares, c’est d’avoir une annexe fonctionnelle, ou plutôt devrais-je dire un moteur d’annexe fonctionnel. Ce moteur qui m’a donné tant de fil à retordre pendant 6 mois, qui a bien amusé nos anciens voisins de ponton en me voyant m’arracher les cheveux, me torturer les neurones pour comprendre pourquoi il ne voulait pas démarrer, qui m’ont vu le désosser pour en changer plusieurs pièces, et bien figurez-vous qu’il démarre à chaque fois du premier coup! Comme quoi la persévérance porte ses fruits! Et cette vie au mouillage serait impossible sans que l’annexe et son moteur ne soient pleinement opérationnels. Ramer c’est bien joli, mais quand tu es à 700m du rivage, que tu as 15 noeuds de vent de face et le clapot qui va avec, les courses à ramener à bord, tu es bien content de pouvoir avancer plutôt que de reculer ou de te laisser dériver. Quand je repense à l’ultimatum que Lynne m’avait posé avant de partir, je me dis que même avec l’esprit aventurier, elle avait quand même un peu raison: le moteur de l’annexe, c’est essentiel!

Rencontrer des amis

Mais aller à terre, c’est aussi pour les enfants l’occasion de se faire des amis ou tout du moins, de jouer avec d’autres enfants. Et de ce côté là, ils commencent à être un peu plus à l’aise. Nous avons d’abord rencontré une famille russe avec leurs deux enfants, Igor et Nikita. Vous pouvez retrouver leur aventure sur leur chaîne YouTube Sailing Olle. Les enfants ont le même âge et même si le premier contact n’a pas été facile, ils s’éclatent bien tous ensemble et commencent à utiliser un peu plus l’anglais pour communiquer. Bon, j’avoue que c’est parfois amusant d’entendre Océane expliquer des choses en français avec l’accent russe. Au moins, elle a intégré la mélodie de la langue! 

Nous avons aussi fait la connaissance d’une famille danoise-suisse partie de Port-Leucate juste avant le deuxième confinement: Mawi Sailing. Ils ont mis leurs enfants à l’école jusqu’à la fin de l’année scolaire et même s’ils n’ont pas encore eu trop le temps de jouer avec Mathieu et Océane, les filles ont envie de se retrouver plus souvent tout en parlant anglais. 

Et les parcs de jeux sont aussi de bons endroits pour faire des connaissances. Il y a toujours pas mal d’enfants à la sortie de l’Ecole qui viennent jouer et c’est l’occasion pour Mathieu et Océane de jouer et d’apprendre un peu l’espagnol. Et les majorquins sont vraiment gentils, souriants et hospitaliers.

Nos prochaines découvertes...

Nous avons encore pas mal de choses à découvrir dans cette région nord de Majorque: Le Cap Formentor, les remparts et les ruines romaines d’Alcudia, la vieille ville de Pollensa feront assurément partie de nos prochaines excursions! Tout en pensant à aller faire un saut de puce à Minorque prochainement...